Invitée aux Universités d’Eté du PS, Sophie BINET (membre du Bureau Confédéral de la CGT et du Bureau National de l’UGICT) est intervenue sur la problématique de l’égalité entre les femmes et les hommes en abordant les thématiques du travail, de l’emploi, des salaires, et bien entendu, la question centrale de la réforme des retraites, interpellant ainsi directement Marisol Touraine, Ministre des Affaires Sociales.
Plénière Droits des femmes : Sophie Binet par PartiSocialiste
Je vous remercie de m’avoir invitée et je suis très honorée que la CGT puisse intervenir sur la situation des femmes. D’abord parce qu’il semble que les syndicalistes se font un peu rares cette année à la Rochelle, et ensuite car la question des femmes est pour nous la meilleure porte d’entrée pour parler des retraites, qui plus est en présence de la ministre des affaires sociales. Comme il y avait déjà trop d’organisations syndicales à la table ronde sur les retraites, j’imagine que c’est la raison pour laquelle vous nous avez réservé celle sur les femmes. Je vous remercie donc de votre invitation.
L’intitulé de cette table ronde est bien choisi, parce que s’il est un sujet sur lequel le combat n’est pas terminé, c’est bien celui des femmes, notamment en matière d’égalité professionnelle. Et contrairement à ce que l’on entend parfois, l’inégalité professionnelle entre les femmes et les hommes n’est pas seulement la conséquence de l’inégale répartition des tâches ménagères et de la maternité, mais aussi la cause. Bien sûr, il y a des habitudes culturelles qui font qu’il est rare qu’un homme prenne un congé parental pour élever ses enfants. Mais il y a aussi des choix financiers. Tant qu’il sera économiquement plus rentable pour un couple que la femme s’arrête de travailler à la place de l’homme, on n’arrivera pas à un partage plus équitable. Pour la CGT, la question de l’égalité salariale est donc centrale. Nous avons la chance que la Ministre du droit des femmes souhaite utiliser son projet de loi pour combattre les inégalités professionnelles, l’enjeu est donc d’identifier les leviers à actionner.
Les leviers pour agir sur l’égalité salariale
Sur les salaires, on est en plein paradoxe. Les femmes sont maintenant plus diplômées que les hommes, 6 lois successives sont venues affirmer le principe de l’égalité salariale, pourtant, il y a toujours en moyenne 27% d’écart salarial entre les femmes et les hommes. Pire, cet écart est stable depuis 20 ans.
Ceci s’explique parce que les lois successives n’ont pas été toutes effectivement appliquées, mais aussi parce qu’elles n’agissaient pas là où il fallait. Grâce aux batailles féministes, l’opinion est majoritairement convaincue qu’il y a une inégalité de rémunération entre les femmes et les hommes et que cette inégalité est inacceptable. Par contre, les 27% d’écart restent abstraits, on ne sait pas ce que cela recouvre.
Pour déterminer les bons leviers d’action, il est nécessaire d’analyser en détail les raisons des écarts de rémunération. Il y en a principalement trois :
1- le temps partiel,
2- le cantonnement des femmes dans des métiers féminisés
3- ce que l’on pourrait appeler de la discrimination pure.
Le temps partiel d’abord: 85 % des salariés à temps partiel sont des femmes. Les dispositions de la loi dite de « sécurisation de l’emploi » ne permettront malheureusement pas de changer la donne. La CGT propose donc que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités et légifèrent dès la fin des négociations sur le temps partiel, début 2014, pour faire cesser la discrimination dont sont victimes les femmes.
Une fois retiré les salariés à temps partiel, si on ne compare que les salariés à temps plein, l’écart salarial reste de 19% en moyenne.
J’en arrive au deuxième facteur de discrimination : la ségrégation des femmes dans des emplois à faible salaire, qui ne prennent pas en compte les qualifications. Pour le dire autrement, on est face à un problème de classifications. Les classifications, c’est ce qui définit les grilles de salaire. C’est là que se joue l’essentiel des inégalités salariales, et pourtant, c’est l’angle mort des politiques publiques. Les stéréotypes font que les femmes sont concentrées dans les secteurs de l’éducation, de la santé et du social, sur des emplois, qui correspondent aux compétences présumées naturelles pour les femmes : l’organisation, le relationnel, les métiers en lien avec les enfants ou les personnes âgées…Et ces compétences ne sont justement pas reconnues puisqu’elles sont considérées comme des qualités naturellement féminines. C’est cela qui explique que les ouvriers sont en moyenne mieux payés que les employées, que les diplômes d’écoles d’ingénieurs sont mieux reconnus que ceux de lettres et sciences humaines, que les salaires sont plus élevés dans l’industrie que dans le tertiaire…
Pour ouvrir le chantier des grilles de salaires, il faut imposer une renégociation des classifications dans les branches professionnelles. D’ailleurs, il nous faut aussi balayer devant notre porte, car souvent les équipes syndicales ne sont pas assez formées et combatives sur ce sujet. La mixité dans les métiers est aussi déterminante, c’est pour cela qu’il est fondamental de former les enseignants sur l’égalité femme/homme. Pour agir sur les classifications, il est nécessaire de regarder tout débat salarial avec les lunettes du genre, en ayant en ligne de mire la situation des femmes et des hommes: alors que les femmes représentent 62% des fonctionnaires, augmenter le point d’indice dans la fonction publique, le salaire des enseignants, ou encore supprimer le système de primes qui discrimine directement les femmes permettrait mécaniquement de faire baisser les inégalités salariales…Vous voyez que les revendications salariales de la CGT sont toutes très féministes…et très raisonnables bien sûr d’ailleurs.
Troisième cible pour agir, mettre fin à la discrimination pure qui explique 7 % à 10% des écarts de salaires femmes/hommes. C’est-à-dire que toutes choses égales par ailleurs, ancienneté, diplôme, responsabilité, poste…une femme est payée en moyenne 7 à 10% de moins qu’un homme. La persistance de cette discrimination, malgré les textes règlementaires, doit conduire à donner aux femmes de nouveaux droits pour faire respecter la loi. La CGT propose donc de mettre en place un système d’action de groupe pour les femmes, à l’image de celui prévu pour les consommateurs dans le projet de loi consommation. Cette action de groupe permettrait que l’avancée obtenue par une femme puisse profiter à toutes celles qui sont dans la même situation. Elle serait particulièrement efficace pour lutter contre les inégalités qui pénalisent le déroulement de carrière des femmes. Cette action de groupe constituerait le levier le plus puissant pour faire enfin de l’égalité professionnelle une réalité.
J’en arrive aux inégalités en matière de retraite, conséquence directe des inégalités salariales et des interruptions de carrière du fait des enfants. Les chiffres sont connus : les femmes touchent en moyenne une retraite 40% inférieure à celle des hommes, 2 retraités pauvres sur 3 sont des femmes. Cette situation a malheureusement été amplifiée par les réformes des retraites depuis 1993, qui ont eu pour conséquence une baisse des pensions et un départ plus tardif en retraite, en particulier pour les femmes.
Pour arriver à l’égalité femme/homme, il est donc nécessaire d’évaluer toute réforme avec les lunettes du genre, et d’en mesurer l’impact spécifique pour les femmes. C’est le sens de la création du ministère des droits des femmes, et c’est la raison pour laquelle la CGT l’a salué. Et sur le dossier des retraites, son approche ne pourra pas se limiter aux mesures de rattrapage des inégalités, les mesures de droits familiaux, qui ne jouent qu’à la marge. C’est bien l’ensemble du modèle qu’il faut interroger.
Retraites : garantir l’égalité et le niveau des pensions
Le modèle qui a servi de base à la construction des retraites est celui de l’homme au travail et de la femme au foyer. Contrairement à ce que l’on entend parfois, les femmes ne sont pas à classer dans la case « diversité », elles constituent la moitié du salariat. Surtout, le modèle progressiste que nous voulons c’est celui où les hommes comme les femmes s’investiraient dans les tâches domestiques et l’éducation des enfants. Cela signifie que la durée travaillée sera plus proche de celle des femmes que de celle des hommes. La réflexion sur les retraites doit donc se baser sur la situation des femmes.
Pour la CGT, il y a une contradiction majeure à vouloir agir pour les femmes – comme pour les jeunes d’ailleurs – tout en allongeant la durée de cotisation. L’argument de l’augmentation de l’espérance de vie, présenté comme une évidence, mérite d’être discuté. D’abord, peut-être faudrait-il plutôt se baser sur l’espérance de vie en bonne santé, qui elle, pour la première fois, baisse, et s’établit en moyenne à 62 ans, soit avant le départ en retraite. Surtout, malgré les réformes successives, le nombre d’annuités cotisées par les salariés n’a pas augmenté, et s’établit à 36 anuités pour les femmes et 39 pour les hommes. L’allongement de la durée de cotisation ne se traduit donc pas par une augmentation de la durée travaillée mais par une baisse des pensions, qui pénalise d’abord les femmes. Ajoutons qu’allonger la durée de cotisation jusqu’à 44 ans rapporterait, selon le rapport Moreau, seulement 2 milliards en 2030. Alors que nous avons déjà un des systèmes de retraite les plus durs d’Europe, est-ce vraiment une mesure indispensable ? Alors que le pays compte 5 millions de chômeurs, faut-il travailler plus, ou au contraire, comme la gauche l’a fait en 1997, partager le travail ?
Pourquoi ne pas actionner le levier qui dégage le plus de rendement (toujours selon le rapport Moreau), l’augmentation des cotisations ? Pourquoi justement, alors que le gouvernement s’est donné comme objectif de mettre fin aux inégalités salariales, ne pas utiliser l’augmentation de salaire des femmes pour financer les retraites ? En effet, un salaire plus élevé, signifierait que les femmes cotiseraient d’avantage, ce qui permettrait (selon la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse) de dégager 10 milliards de ressources supplémentaires en 2020.
Entre 1970 et 1990, en pleine crise économique, nous avons réussi à augmenter régulièrement le montant des cotisations. En 1981, alors que l’espérance de vie augmentait fortement, François Mitterrand a mis en place la retraite à 60 ans. Pourquoi aujourd’hui ne pourrions-nous pas financer une réforme progressiste des retraites?
Pour conclure, nous souhaitions, à la CGT, répondre à la commande de François Hollande, et imaginer la France de 2025.
Pour la CGT, en 2025, les entreprises auront cessé de discriminer les femmes par les salaires parce que l’obligation leur aura été assignée par la loi, dès aujourd’hui, dès 2013.
En 2025, le système de retraite sera financé et les femmes bénéficieront des mêmes droits que les hommes, parce que dès 2013, nous aurons construit la réforme des retraites à partir de la situation des femmes.
Enfin, en 2025, les femmes et les hommes assumeront chacun 50% des tâches ménagères parce que dès 2013 la loi aura préparé le changement des mentalités, en revalorisant financièrement le congé paternité et le congé parental.
Je vous remercie de votre attention.
[Texte de l’intervention de Sophie Binet le samedi 24 aout 2013. La Rochelle . Seul le prononcé fait foi]